By Hélène Crié-Wiesner
Le président américain a donné, mardi soir, sa première adresse solennelle à la nation sur le désastre de la marée noire. Depuis le bureau ovale, il s'est engagé à combattre ce « fléau », qu'il n'a pas hésité à qualifier de « 11 septembre écologique ». (Voir la vidéo en anglais du discours à la nation de Barack Obama)
Il a appelé à révolutionner la politique énergétique américaine : « Le temps d'adopter les énergies propres est venu ». Mais les géants du pétrole ne devraient pas le laisser aller trop loin dans cette croisade-là.
Le sort est injuste envers Barack Obama. Pourquoi la marée noire du golfe du Mexique n'est-elle pas plutôt arrivée sous le règne de Bush, président intimement lié à l'industrie pétrolière ?
Pourquoi le mazoutage des côtes menace-t-il de se muer en désastre politique pour Obama, qui n'a jamais été tendre avec les grandes compagnies de l'or noir ?
Voilà un président américain qui en pince pour les énergies renouvelables, qui a de tout temps dénoncé la dépendance de son pays envers les combustibles fossiles. Candidat, il combattait l'accroissement des forages, et il tente aujourd'hui, par le biais d'un projet de loi en cours d'examen sur l'énergie et le climat, de réduire les privilèges exorbitants consentis aux compagnies pétrolières.
Obama et le pétrole, c'est compliqué. Sans le pétrole et sans les compagnies qui l'exploitent (les plus importantes, celles surnommées ensemble « Big Oil »[2]), il n'y a pas d'Amérique.
Le pays consomme 22% de la production mondiale. Les institutions américaines (politiques, culturelles, éducation, santé…) et tous les partis reçoivent des dons de l'industrie pétrolière. Le candidat Obama lui-même, en 2008, a reçu 884 000 dollars de Big Oil. Le camp républicain a touché bien davantage : 132,2 millions de dollars noirs.
Obama venait d'autoriser de nouveaux forages offshore
Le président des Etats-Unis a beau avoir la fibre écologiste, il doit composer avec ses ennemis politiques pour faire voter des lois. C'est pourquoi le projet de loi énergie et climat a tant traîné avant d'arriver devant le Sénat.
Ce texte devait, entre autres nombreuses mesures, fixer un prix aux émissions de gaz à effet de serre, plus ou moins sur le modèle européen. Objectif général : réduire la dépendance américaine vis-à-vis des combustibles fossiles, et diminuer l'empreinte carbone du pays.
Presque unanime, le monde du pétrole et du charbon combat farouchement le texte. Ainsi que le Parti républicain tout entier. La frange dure des environnementalistes n'en veut pas non plus, estimant qu'il ménage trop Big Oil et « Big Coal » (l'industrie du charbon).
Il est vrai que des concessions, le camp d'Obama a dû en faire : une grosse relance du nucléaire, notamment, et l'autorisation, in fine, de nouveaux forages au large des côtes américaines. Le sénateur John Kerry, artisan principal de la future loi, a lâché ça à contrecœur aux républicains, et Obama a anticipé cette partie de la loi en dévoilant, le 1er avril, le plan précis de ces forages.
Trois semaines plus tard, la plateforme de BP prenait feu. Immédiatement, Obama décrétait un moratoire sur ses autorisations. Bien sûr, les discussions s'envenimaient illico au Sénat.
Et pendant ce temps, à mesure que le pétrole gluant arrivait sur les côtes, la grogne populaire montait : Obama a-t-il tout fait pour prévenir, enrayer, combattre le désastre ? Ne s'est-il pas, lui ou son administration, montré trop complaisant envers Big Oil ?
Barack Obama répond en deux temps
Sur place, en Louisiane le 28 mai :
« J'ai eu tort [d'autoriser les forages, ndlr] en pensant que les compagnies pétrolières travaillaient de concert pour éviter les pires scénarios.
Ce n'était pas une simple croyance aveugle de ma part : jusque-là, dans le golfe, tout s'était plutôt bien passé. »
Le 2 juin, lors d'un discours à Pittsburgh consacré au projet de loi sur l'énergie :
« On doit admettre qu'il est risqué de forer à plus de 5 000 mètres sous la surface de l'eau. Nous devons reconnaître qu'une Amérique dépendante exclusivement des combustibles fossiles n'est pas celle que nous voulons pour nos petits-enfants. »
Obama brandit la menace d'une Amérique trop dépendante des approvisionnement étrangers (« Les Etats-Unis consomment plus de 20% des réserves mondiales de pétrole, mais n'en recèlent que 2% sur leur territoire »), ce qui menace sa sécurité. Mais, répondant à ses opposants qui voient là une raison supplémentaire pour accroître la production pétrolière américaine, le Président assène :
« C'est pourquoi j'ai soutenu un plan prudent de production offshore comme part de notre stratégie énergétique. Mais on ne pourra continuer sur cette voie que si c'est sans danger, et seulement s'il s'agit d'une solution à court terme. »
La politique d'Obama vis-à-vis du pétrole réside dans ces mots : « court terme », le temps d'assurer la transition vers un autre type d'économie.
Il est clair que la future loi, dénoncée comme bien timide par les environnementalistes, ne suffira pas à elle seule pour sortir l'Amérique de son addiction au pétrole. En tout cas, Barack Obama, s'il n'est guère efficace comme chef des bataillons de nettoyeurs, a démontré depuis un an et demi sa volonté d'affranchir son pays du diktat des pétroliers.
► Mis à jour, le 16/06 à 18h42 : le riverain mareek[3] note une imprécision, dans le paragraphe « Obama brandit la menace d'une Amérique trop dépendante », sur la consommation américaine de pétrole. Sur suggestion de l'auteur, l'imprécision est remplacée par une citation de Barack Obama.